Par Emilie Vonderscher, Huissier de justice.

Traiter de la Loi ALUR et de son impact sur l’activité de gestion immobilière aurait pu impliquer une analyse exhaustive de cette loi n°2014-3661 dite « pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové » du 24 mars 2014 et de ses multiples décrets d’application. Mais force est de constater, à l’heure de la rédaction de cet article et six mois après la promulgation de la loi, qu’un seul décret majeur a vu le jour.

Reste alors aujourd’hui, très pragmatiquement, à seulement tenter de comprendre et d’appréhender, voire d’imaginer les enjeux de ce que sera peut-être demain la gestion immobilière.

II – Une gestion immobilière complexifiée par la loi ALUR.

La protection du locataire, tel est le leitmotiv de la loi ALUR. Cette protection commence dès l’entrée dans les lieux (A) et se poursuit pour maintenir le locataire dans son logement (B) car le propriétaire est de moins en moins libre de donner congé et pourra même avoir de grandes difficultés à reprendre son logement. Le concours de l’agent immobilier sera donc ici nécessaire afin de faire face aux difficultés de la loi.

A/ L’entrée dans les lieux : une donnée d’informations sans fin

Il est loin le temps où le locataire prenait son logement « en l’état », s’engageait à l’utiliser en bon père de famille et où son bail consistait à une simple information verbale de cinq minutes. Aujourd’hui pour une signature de bail avec deux locataires et deux cautions, comptez plus d’une heure de rendez-vous, ainsi que le temps de rédaction du bail et des nombreuses photocopies qu’il conviendra d’effectuer.

Avant de lister les informations à donner au locataire, il est rappelé que la loi ALUR s’applique aux locaux nus à usage d’habitation ou à usage mixte professionnel et d’habitation ainsi qu’aux locaux loués accessoirement au local principal par le même bailleur. Ces locaux doivent constituer la résidence principale du preneur et pour cela être occupés au moins huit mois par an sauf obligation professionnelle, raison de santé, ou cas de force majeure, soit par le preneur ou son conjoint, soit par une personne à charge au sens du Code de la Construction et de l’habitation [1]. La loi ALUR soumet également à ce dispositif les locaux meublés.

Si la liste des informations à donner au locataire tend à s’accroître, le législateur a voulu révolutionner et encadrer strictement la liste des documents pouvant être demandés au locataire lors de la constitution de son dossier pour vérifier sa solvabilité. Mais le décret d’application se faisant attendre, la liste des pièces ne pouvant pas être réclamées a disparu. Sous réserve de discrimination, aujourd’hui les agents immobiliers semblent libres.

Le décret d’application concernant le bail type se fait lui aussi attendre. Les professionnels de l’immobilier doivent donc être très vigilants dans la rédaction de leurs baux. En effet, une trop grande incertitude provient du nombre de dispositions soumises à une décret d’application.

L’article 3 de la loi du 6 juillet 1989 impose un contenu minimum obligatoire à savoir : identité du bailleur, date de prise d’effet et durée, consistance et destination du bail, désignation des locaux et équipements d’usage privatif, surface habitable, montant du loyer, du dépôt de garantie, nom ou dénomination du locataire, mention relative aux équipements d’accès aux technologies de l’information et de la communication mais aussi :

loyer de référence et loyer de référence majoré (sous réserve du décret d’application car cette partie de la loi fait couler beaucoup d’encre et la liste des villes soumises au plafonnement du loyer fait débat)
montant et date de versement du dernier loyer acquitté par le précédent locataire s’il a quitté le logement moins de dix-huit mois avant la signature du bail
nature et montant des travaux effectués dans le logement depuis la fin du dernier contrat de location ou depuis le dernier renouvellement de bail
le renoncement, le cas échéant, au bénéfice de la garantie universelle des loyers (si un jour le décret d’application est publié. Il s’agit bien là d’une application à tous les baux car la loi exige un renoncement express).
les honoraires comme indiqué ci-dessus.
A ce contrat s’ajoute tous les documents annexes qui eux aussi tendent à se multiplier au risque de voir le consommateur se noyer dans la pile de documents et finalement être mal informé.

L’état des lieux est obligatoire avec un relevé des index des différents compteurs (index qui doivent être mis à la disposition des diagnostiqueurs). Le locataire a dorénavant la possibilité de modifier l’état des lieux dans un délai de dix jours à compter de son établissement. Bien que ce texte peut paraître très opportun d’un premier abord (cela laisse le temps au locataire de prendre possession des lieux et donc de vérifier chaque équipement), il risque de provoquer une source non négligeable de contentieux issus d’abus par des preneurs qui pourraient commettre des désordres dans l’appartement. De plus, se pose la question de la modification d’un état des lieux effectuer par procès-verbal de constat d’huissier de justice qui a valeur jusqu’à preuve contraire….
Le diagnostic technique comprenait jusqu’à la loi ALUR : le DPE, le risque d’exposition au plomb pour les constructions antérieures à 1948, l’état des risques naturels et technologiques. Depuis la loi ALUR, il convient d’ajouter : le diagnostic amiante, un état de l’installation intérieure d’électricité et de gaz, une notice d’information relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs ainsi qu’aux voies de recours qui leur sont ouvertes pour régler leurs litiges (lorsque les décrets d’application seront parus). Et pour mémoire, il est rappelé que les détecteurs de fumée sont obligatoires à compter du 10 mars 2015 avec l’obligation, lors de l’état des lieux d’entrée, d’en vérifier le bon fonctionnement.
Enfin, la loi ALUR a aussi énoncé des clauses réputées non écrites dont la plus marquante est peut être la clause pénale en cas d’impayé de loyers.

Voilà le locataire en place, bien informé mais sa sortie pourra se révéler problématique.

B/ La sortie des lieux : une responsabilité mise à rude épreuve

La Loi ALUR a tenu aussi à renforcer la protection du locataire lors de sa sortie des lieux … au détriment de la liberté du propriétaire qui se trouve encadré dans des délais qui ne lui sont pas favorables et qui risquent de freiner plus d’un investisseur.

Au préalable, il convient de noter le nouveau mode de remise du congé outre l’acte d’huissier de Justice ou de la lettre recommandée avec demande d’avis de réception, la remise en main propre contre récépissé ou émargement [3].

Le locataire s’est vu offrir encore plus de possibilités de réduire son préavis à un mois (qui tend maintenant vers le principe et le préavis à trois mois devenant l’exception) : le préavis d’un mois est accordé en plus des cas précédemment connu pour :

tous congés donnés dans une zone tendue
le locataire bénéficiaire de l’allocation adulte handicapé
le locataire qui s’est vu attribuer un logement locatif conventionné raisons de santé quelque soit l’âge.
Le justificatif d’un préavis réduit doit être donné dès le congé et non ultérieurement.
Le locataire âgé aux faibles ressources est protégé dès l’âge de 65 ans et non plus 70 ans, pendant que le bailleur est lui protégé aussi à l’âge de 65 ans et non plus 60 ans, en somme ALUR a fixé l’âge de la « maturité » à 65 ans !

Le bailleur, investisseur, lui s’est vu restreindre ses possibilités de donner congé.
Ainsi l’acquéreur d’un bien loué, ne pourra donner congé pour vente qu’au terme du premier renouvellement du bail en cours et congé pour reprise qu’après un délai de deux ans si le terme du bail intervient moins de deux ans après l’acquisition. Il convient d’attirer l’attention du professionnel sur ces calculs de délais de congé et de ne pas oublier le devoir d’information du bailleur de sa possibilité de donner congé ou non.

Le bailleur souhaitant reprendre son bien devra, quant à lui, se justifier auprès du locataire afin que celui-ci puisse vérifier le caractère réel et sérieux de la reprise.

Enfin le locataire mauvais payeur fait lui aussi l’objet d’attention du législateur rendant la procédure d’expulsion encore un peu plus longue et obligeant le professionnel à veiller scrupuleusement au règlement des loyers. Il est vivement conseillé d’entamer une procédure le plus rapidement possible afin de ne pas se voir reprocher une perte de temps empêchant quelques fois d’expulser avant la reprise de la trêve hivernale.

Il est certain que le métier de gérant d’immeuble évolue en raison du marché et des lois. Il devient de plus en plus complexe, pour une rémunération parfois moindre, et se réglemente de plus en plus. Mais c’est toujours un métier passionnant fait de rencontres humaines, de visites de biens, parfois exceptionnels, chargés d’histoire. La vraie richesse de ce métier se situe peut être là.