Par Emilie Vonderscher, Huissier de justice.

Pour mémoire la loi ALUR regroupe quatre points essentiels :
favoriser l’accès au logement de tous à un logement digne et abordable
lutter contre l’habitat indigne et les copropriétés dégradées
améliorer la lisibilité et l’efficacité des politiques publiques du logement
moderniser les documents de planification et d’urbanisme
C’est donc une loi ambitieuse… Elle s’attaque en premier lieu au domaine locatif et à tous ces acteurs. Chacun de ces acteurs : propriétaire, locataire, agent immobilier, huissier de justice se trouve impacté par le remaniement de la loi de 1989…

Joël MONEGER résume la loi ainsi : « La loi ALUR a été débattue – pas assez -, votée – trop vite sur certains points – , promulguée – après un léger brossage constitutionnel pour lui donner une meilleure allure. Elle vient inscrire, dans une période de baisse des loyers, un mécanisme qui ressemble à une « usine à gaz », pour les faire baisser encore. Il est même possible de dire comme naguère « gaz à tous les étages ». Certains des étages étant menacés par l’excès. ».

Force est alors et encore de constater qu’aujourd’hui cette loi n’a pas meilleure allure puisqu’elle laisse toujours les professionnels de l’immobilier dans le flou et la parution du décret sur les honoraires n’a pu que les laisser dans la perplexité la plus totale.

L’enjeu, pour les propriétaires et pour les professionnels de l’immobilier, est d’investir, de louer, d’exercer, de défendre ou d’exécuter avec la loi ALUR ou plutôt sans….

Alors depuis la loi du 24 mars 2014, le métier d’agent immobilier a-t-il changé ? Qu’est devenu le travail de gestion immobilière ? quel est l’impact des nouvelles règles de gestion locative sur les agences immobilières ?

Si le cœur du métier est identique, l’exigence de ce métier s’est accrue, les connaissances pour l’exercer se sont multipliées, le temps passé sur un dossier s’est allongé pour une rémunération parfois moindre ou dans tous les cas une rentabilité affaiblie et une responsabilité toujours croissante.

Il est vrai que les agents immobiliers sont impactés dans leur travail au quotidien par la nouvelle loi avec des règles de fonctionnement et de rentabilité qui ont changées même si parfois ces nouvelles règles n’ont pas été dans le sens annoncé…

I – LES GERANTS D’IMMEUBLE DANS L’ŒIL DE LA LOI ALUR.

Le point le plus politique, populaire de la loi est la nouvelle rémunération des agents immobiliers lors de l’entrée dans les lieux du locataire et ce afin de rendre du pouvoir d’achat aux locataires et faciliter l’accès au logement. En contrepartie de cette baisse d’honoraires, les professionnels de la gestion immobilière ont vu leur masse de travail s’accroître pour faire face à une réglementation plus stricte toujours dans le but de répondre à l’objectif de la loi ALUR qui « semble bâtir les soubassements d’une ère nouvelle où la propriété privée relèvera de la puissance publique et de ses acteurs, les professionnels de l’immobilier, investis d’une mission de service public […]. ».

A/ Une rémunération encadrée et limitée

Le décret n°2014-890 du 1er août 2014 relatif au plafonnement des honoraires imputables aux locataires et aux modalités de transmission de certaines informations par les professionnels de l’immobilier a vu le jour en plein été et ce pour freiner les frais dits « excessifs » et redonner ou donner du pouvoir d’achat aux ménages.
Les plafonds nouvellement instaurés, s’ils remplissent parfaitement leur rôle dans les grandes agglomérations, ont un effet totalement inverse dans les zones dites « normales » où aujourd’hui les professionnels peuvent prétendre à des honoraires qui doublent voir triplent leur revenus (si bien sûr ils trouvent preneur !).

Le décret instaure trois zones et deux types d’honoraires. (article 1 et 2).

Un principe préalable est posé :
La rémunération des personnes mandatées pour se livrer ou prêter leur concours à l’entremise ou à la négociation d’une mise en location d’un logement est à la charge exclusive du bailleur.

A tout principe il existe une exception :
Le locataire et le bailleur se partagent les honoraires des personnes mandatées pour effectuer la visite du preneur, constituer son dossier, rédiger le bail. Il en est de même de l’état des lieux.

Et ici également il existe des plafonds : en l’occurrence le législateur a mis en place un système de double plafond :

– le premier : le preneur ne peut payer plus d’honoraire que celui mis à la charge du bailleur
– le second : le montant toutes taxes comprises imputé au preneur pour ces prestations demeure inférieur ou égal à un plafond par mètre carré de surface habitable de la chosé louée, fixé par voie réglementaire et révisable chaque année, dans des conditions définies par décret. Et c’est le rôle du décret du 1er août 2014 qui sépare la France en trois zones. Ainsi dans la zone très tendue, le plafond des honoraires de mise en location comprenant les visites, la constitution du dossier et l’établissement du bail est fixé à 12 euros TTC le mètre carré. L’honoraire est fixé à 10 euros le mètre carré dans la zone tendue et à 8 euros le mètre carré dans les autres zones. Dans l’ensemble de ces zones, le plafond des honoraires pour l’état des lieux est fixé uniformément à 3 euros TTC le mètre carré.

Donc, résumons-nous et prenons un exemple chiffré :
Au bailleur, aucun plafond d’honoraire n’est imposé, si ce n’est celui fixé par la loi du marché.
Au locataire, deux plafonds : il ne doit pas payer moins que le bailleur et plus que les plafonds imposés par le décret en fonction de sa zone.

Mais si la loi remplit son office dans les grandes agglomérations (donc dans les zones tendues ou très tendues) ou pour les petits appartements, tel n’est pas le cas dans les autres zones ou pour les grands appartements.

Exemple : A Montereau Fault Yonne : ville de Seine et Marne, un T 3 de 70 mètres carré est loué 700 euros.
Les honoraires pouvant mis à la charge du locataire et donc a minima du bailleur sont de : 70 x 8 (honoraires mis en location) + 70 x 3 (honoraires d’état des lieux) = 560 + 210 = 770 TTC alors que l’agent immobilier prenait auparavant ½ mois de loyer ou 75 % du loyer TTC.
A Angoulême, en Charente, ce même logement est loué 550 euros…. Pour aujourd’hui 770 euros TTC d’honoraire. Des honoraires bien supérieurs à ceux pratiqués.

Une gestion immobilière est un commerce, il faut savoir facturer juste et l’agent immobilier doit effectuer un travail de fixation d’honoraires entre sa convention d’honoraires avant la loi ALUR, la nouvelle grille, sa rentabilité et la concurrence. Mais il est certain que dans beaucoup de villes, la grille ne pourra pas être appliquée à la hauteur de ce qu’elle impose.

A noter également que les frais de l’état des lieux conflictuel effectué par un Huissier de Justice (article 3-2 alinéa 2) à la demande d’une des parties sont à partager entre le bailleur et le preneur selon non plus le plafond à 3 euros le mètre carré mais selon le décret n°96-1080 du 12 décembre 1996 en fonction de la surface de l’appartement (inférieure à 50 mètres carré, entre 50 et 150 mètres carré et supérieure à 150 mètres carré).

Pour une meilleure information du locataire, le professionnel de l’immobilier doit apporter des mentions obligatoires dans le bail. Ainsi les trois premiers alinéas de l’article 5 I de la loi du 06 juillet 1989 et les montants des plafonds qui y sont définis doivent être reproduits à peine de nullité. A défaut de quoi, les parties seraient en droit de refuser le paiement de ces honoraires ou peuvent demander la restitution de l’indu.

En tout état de cause, les honoraires pratiqués doivent être affichés dans l’agence et toute annonce doit être accompagnée du montant des honoraires réclamés.

Le gestionnaire d’immeuble perçoit également des honoraires dits « honoraires de gestion » qui sont prélevés tous les mois sur le loyer encaissé et correspondent à un pourcentage de ce loyer. Ces honoraires correspondent à la rétribution de l’appel de loyer, de son encaissement et de la gestion du bail. Ils sont à la charge du propriétaire et sont libres. Mais la loi ALUR a prévu le plafonnement des loyers dans les zones tendues (article 17). Les propriétaires restent dans l’attente du décret d’application et des villes concernées. Mais les professionnels de l’immobilier seront touchés par ricochet : les honoraires de gestion baisseront proportionnellement au loyer.

La loi ALUR n’a pas seulement mis un frein à la libre fixation du tarif des agents immobiliers, elle a aussi réglementé l’activité.

B/ Une réglementation plus stricte de l’activité

Le ministère du logement tout en rappelant que « les professionnels de l’immobilier constituent un secteur économique important de notre pays, producteur de valeur ajoutée et d’emplois » a entrepris, dans la loi ALUR, « une réforme en profondeur des professions immobilières, nourrie par le constat, marginal toute de même, des pratiques abusives nuisant à l’intérêt des ménages et allant à l’encontre de l’impératif de sécurisation et de transparence voulu par le Gouvernement, comme les tarifs injustifiés et excessifs, le non respect des obligations, l’opacité et les coûts des transaction trop élevés ».

C’est ainsi que la loi n°70-9 du 2 janvier 1970 dite loi HOGUET, réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce – loi bien connue des professionnels de l’immobilier – se voit profondément remaniée par la loi ALUR. L’objectif étant de réorganiser la profession afin de permettre de protéger les consommateurs et d’afficher une plus grande transparence… et de retrouver la confiance.

L’activité de gestion d’immeuble relève de l’article L 110-1 du Code de Commerce et de la loi HOGUET selon son article 1er « aux personnes physiques ou morales qui, d’une manière habituelle, se livrent ou prêtent leur concours, même à titre accessoire, aux opérations portant sur les biens d’autrui relatives à
[…] 6° la gestion immobilière
[…] 9° l’exercice des fonctions de syndic de copropriété dans le cadre de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. »

La dissociation de l’activité de gestion immobilière et de syndic est d’ailleurs une nouveauté de la loi ALUR, les professionnels et les juristes s’étant toujours accordés auparavant pour considérer que l’activité de gestion d’immeubles englobait l’activité de syndic.
La loi ALUR donne une définition de l’activité de gestion immobilière : « La location ou la sous-location, saisonnière ou non, en nu ou en meublé, d’immeubles bâtis ou non bâtis lorsqu’elle constitue l’accessoire d’un mandat de gestion ».

Après en avoir rappelé la définition la loi ALUR encadre cette activité plus strictement :

Toutes personnes physiques ou morales, qui, de manière habituelle, se livrent ou prêtent leur concours à des opérations portant sur les biens d’autrui doit être titulaire de la carte professionnelle délivrée dorénavant par le président de la chambre de commerce et d’industrie (et non plus le préfet), à l’exception des huissiers de justice qui pratiquent l’activité accessoire de gérant d’immeubles sans avoir une carte professionnelle mais en se déclarant auprès de leur instances professionnelles régionales et du parquet général. La chambre de commerce et d’industrie détient un fichier des personnes titulaires de la carte professionnelle.
La loi ALUR impose une formation continue obligatoire pour assurer un niveau de compétence minimal afin de rendre toujours un service de qualité au regard des exigences des lois. Le renouvellement de la carte professionnelle est soumis à cette obligation. Là encore un décret est attendu afin de connaître la nature, les modalités, la durée de la formation ainsi que son contrôle.
La loi ALUR impose la souscription d’une assurance contre les conséquences pécuniaires de leur responsabilité civile professionnelle ainsi que d’une garantie financière permettant le remboursement des fonds, effets ou valeurs déposés et spécialement affectés.
Dans un souci d’information du consommateur mais aussi de contrôle d’efficacité, la loi ALUR renforce le mandat écrit et impose son contenu. Le mandat doit énumérer de façon précise les moyens que le mandataire s’engage à mettre en œuvre pour le compte de son mandant afin d’exécuter au mieux sa prestation et selon quelles modalités il rend compte à son mandant de leur réalisation, selon une périodicité déterminée par les parties. En contrepartie, le mandant qui ne respecte pas les termes du mandat exclusif peut se voir exposer au paiement d’honoraires (ne dépassant pas un certain montant). La loi ALUR impose un mandat limité dans le temps, y compris en cas de clause de tacite reconduction fabriquant ainsi une vraie « usine à gaz ». En effet, le gestionnaire d’immeubles doit avertir le propriétaire entre trois mois et un mois avant le terme de la période de la possibilité de ne pas reconduire le contrat conformément à l’article L 136-1 du Code de la Consommation. Le mandat doit mentionner clairement les modalités de résiliation.
L’activité quotidienne du gestionnaire d’immeuble étant recadrée, le législateur s’est attaqué à l’organisation de la profession en mettant en place deux nouveaux organes :

le conseil national de la transaction et de la gestion immobilière. Sa mission est de veiller au maintien et à la promotion des principes de moralité, de probité et de compétence nécessaires au bon accomplissement des activités avec notamment la création d’un code de déontologie. Le décret d’application concernant ce conseil est paru le 25 juillet 2014 (n°2014-843).
une commission de contrôle des activités de transaction et de gestion immobilière. Cette commission doit connaître des actions disciplinaires. Il est instauré cinq types de sanction : avertissement, blâme, interdiction temporaire d’exercer tout ou partie des activités mentionnées à l’article 1er pour une durée n’excédant pas trois ans et interdiction définitive. Une suspension provisoire pour une durée de trois mois au maximum est possible. Une peine complémentaire peut être aussi prononcée. Ces peines complémentaires sont l’inéligibilité devant ces commissions, la mise en place de mesures de contrôle et de formations obligatoires.
Ces organes auront surtout pour mission d’accompagner le professionnel dans son travail quotidien alourdi par la loi ALUR.